Il y a 80 ans exactement, les Américains larguaient la première bombe atomique sur la ville japonaise de Hiroshima, mettant ainsi fin à la 2ème guerre mondiale – et “annexant” le Japon. Ce n’est pas un hasard si c’est depuis le confins japonais d’un empire occidental qui a poussé à toutes ses limites les logiques de puissance (territoriale, militaire, géopolitique, technologique et financière), que pourrait venir un choc cathartique majeur dans le processus de transition systémique globale que nous observons depuis 19 ans.
Cette triste date du 6 août 1945 que célèbreront les Japonais cet été marque en effet la naissance de l’empire américain. Récupérant une technologie développée par les Allemands et la mettant en œuvre militairement au Japon, les Etats-Unis firent empire en établissant une Pax Americana fondée sur leur fameux « parapluie nucléaire ».
Mais 80 ans plus tard, l’empire est notoirement épuisé par le coût de la puissance. Le cœur du système (Etats-Unis, Canada, zone euro, Japon) participe pour 68% à la dette publique mondiale pour une contribution de 47% au PIB global.
La puissance américaine repose sur une montagne de dette qui fait chanceler tout l’édifice depuis une vingtaine d’années, malgré les apparences de consolidation[1].
Entre le premier choc financier de 2008 et aujourd’hui, les tensions géopolitiques croissantes ont permis de continuer à canaliser les flux de capitaux vers le cœur technologique américain mis en scène comme le dernier bastion sûr d’une finance globale navigant un narratif bien construit d’incertitude systémique.
Cette situation a permis à l’Amérique et à ses alliés de continuer à émettre toujours plus de dette pour financer une suprématie commune malgré tout de plus en plus challengée par les économies émergentes (émergées) et en particulier les BRICS, un club qui ne cesse de grandir (280 millions d’individus de plus depuis l’adhésion de l’Indonésie en janvier[2]). Dans un monde multipolaire où la souveraineté se construit sur la multiplication des alliances, le camp occidental qui exige l’exclusivité se réduit, ainsi que le nombre de créditeurs potentiels à la puissance commune.
Le Japon est emblématique de cette situation : à la fois premier créancier des Etats-Unis (1.150 milliards de dollars) et pays le plus endetté au monde (9.000 milliards de dollars, soit 235% dette/PIB). Sa propre dette est détenue à plus de 90% par des acteurs domestiques, une situation qui n’a été rendue tenable pour la population japonaise que “grâce” à la déflation structurelle que le pays a connue pendant près de 30 ans.
Mais la crise du Covid a changé cette donne et l’inflation oblige désormais la BoJ à ralentir l’activité et à resserrer la politique monétaire après 8 années de taux négatifs.
Ce renversement de tendance historique se combine avec le changement radical de donne politique et de stratégie de puissance aux Etats-Unis, mais aussi bien sûr avec la perspective d’escalade sur le front euro-russe, cet autre confins de l’empire plus proche de nous.
En effet, les événements sur ce front sont sur le point de donner tort à notre anticipation de signature de paix au cours du premier semestre de l’année.
Mais la deuxième partie de notre anticipation se renforce. Si la paix n’est pas signée avant l’été, ce n’est pas juste à une poursuite à feu couvert du conflit que nous allons devoir nous habituer : comme en témoignent déjà les mouvements de troupes US au nord de l’Europe[3], les enjeux autour de l’Arctique dont nous avons amplement parlé ces derniers mois sont en train de se déplacer au nord de la frontière euro-russe, un conflit qui ne tardera alors plus à mettre au contact Russie et OTAN (au niveau des pays baltes notamment), déclenchant de ce fait le fameux article 5 de défense collective…
L’Occident sera-t-il capable de gagner cette dernière phase de la “Guerre des étoiles”[4] qu’il a lui-même instaurée ? Nous anticipons que non : la seule perspective d’une telle escalade sera suffisante à mettre le feu aux poudres de la crise obligataire mondiale qui a commencé à se déployer depuis le Japon et que nous nous employons à démontrer dans ce numéro.
Les cendres du nuage atomique d’Hiroshima, après avoir formé un parapluie protecteur au-dessus du monde, s’apprêtent à retomber…
Marie-Hélène Caillol
Directrice de rédaction
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[1] Un bon exemple du caractère superficiel de la consolidation nous est fourni par cet accord de Bâle, publié en 2010 comme consequence de la crise financière de 2008, qui n’est toujours pas mis en œuvre 15 ans plus tard malgré une dernière tentative dite « Basel III endgame » pour un déploiement en 2025 qui ne verra pas le jour finalement. Sources : Brookings, 07/03/2024 ; Atlantic Council, 13/05/2025
[2] Source : AlJazeera, 07/01/2025
[3] Source : Harici, 27/05/2025
[4] L’Initiative de Défense Stratégique, surnommée Guerre des Etoiles par les médias, entraînant une Union soviétique exsangue dans une course à l’armement, est considérée comme ayant contribué à la chute de l’empire soviétique en 1991. Source : NBCNews, 06/06/2004
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