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Le bulletin mensuel du Laboratoire européen d'Anticipation Politique (LEAP) - 15 Mar 2020

A quoi ressemblera l’Europe post-COVID-19 ?

Ralentissement de la mobilité[1], crise du tourisme[2], économie verte[3], virtualisation de l’économie[4], Euroland[5], digitalisation des monnaies de banque centrale[6], réforme radicale du système financier international, disruption du système bancaire européen[7], fin du libéralisme, changement de paradigme,… jusqu’à notre anticipation pour 2020 de phase de stabilisation[8]…, en entrant dans cette nouvelle décennie, il convenait de se demander quel allait être le catalyseur de tous ces bouleversements dont nous avions anticipé l’avènement en 2020.

Nous n’avons pas eu à attendre longtemps, c’est la « peur d’une pandémie »[9] qui va décanter la transition systémique globale. Comme quoi les « cygnes noirs » de M. Taleb[10] n’ont aucune importance : lorsqu’un système doit craquer, il craque… C’est la vieille règle de la goutte d’eau qui fait déborder le vase… et c’est d’ailleurs comme cela que nous appelons les « cygnes noirs » dans le Manuel d’Anticipation Politique : « les événements goutte d’eau »[11].

Le défi en de telles circonstances est de raison garder, en prenant toute la perspective possible pour tenter de discerner ce qui ressortira in fine de la panique générale. Bien entendu, ceci dépend de l’ampleur et de la sévérité de la pandémie. Mais notre équipe est infiniment tentée de revenir tout simplement à sa vision de ce qu’elle appelle depuis 14 ans « le monde-d’après » et qu’elle n’a que de bonnes raisons de voir se mettre en place sous l’immense choc de transition envoyé depuis la Chine. Trois arguments militent en faveur du fait que le monde ne reviendra pas à la situation ex-ante à l’issue de la crise :

. les dirigeants « n’attendaient que ça » : Nous avons répété l’an dernier que la « crise financière de 2020 » telle qu’elle était anticipée depuis 2 ans n’aurait pas lieu parce que, contrairement à celle de 2008, elle était parfaitement anticipée ; depuis 12 ans, le monde (chinois et européens en particulier) se prépare à remplacer le système financier dysfonctionnel actuel et attend la bonne occasion. Mais il n’y a pas que la monnaie, la finance et les banques qui vont être transformées par la crise, d’autres projets de transition vont pouvoir se déployer comme nous allons tenter d’en donner une idée dans cet article[12] ;

. des habitudes vont se prendre pendant la crise : La situation de crise est partie pour durer[13], imposant durablement une panoplie de mesures de précautions allant du travail à domicile à la fermeture de frontières. A rythme ralenti, l’économie va se réorganiser pour tourner dans ces nouvelles conditions et de nouvelles habitudes vont se prendre dont certaines s’ancreront durablement. A titre d’exemple, nous anticipons que la réorganisation des chaînes d’approvisionnement ira dans le sens de nouveaux modèles pérennes ;

. une organisation s’installe pour éviter d’autres pandémies : L’anticipation d’autres crises du même type va justifier la mise en place d’innombrables mesures durables allant de nouvelles règles d’hygiène urbaine à la consolidation des systèmes médicaux en passant par des politiques de réduction de la mobilité et du contact.

Les perspectives de réorganisation sociale que permet d’imaginer la crise sanitaire actuelle sont gigantesques. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur l’Europe pour laquelle nous avons beaucoup plus de certitudes que pour le reste du monde. Mais certaines tendances de transformation seront les mêmes partout.

. Gouvernance – Renforcement des instances de coordination politique régionales et globales : Dans les années 2010, les « populistes » ont repris la main sur les technocraties des années 90/2000, arrimant à nouveau la gouvernance aux préoccupations des « populations ». Cela dit, ils ne se situent pas au bon niveau de pouvoir et depuis au moins une année nous analysons un transfert de leurs contenus politiques vers les niveaux supra-nationaux. En affectant toutes les économies sans exception, le Covid-19 renforce considérablement la pertinence des « grands niveaux » de décision et d’action – bien plus sûrement que la crise migratoire, par exemple, qui n’a amené la plupart des pays qu’à se défausser sur les zones-frontières (Grèce, Italie, Bulgarie, Espagne) ou que la crise terroriste dont le potentiel fédérateur était éthiquement dangereux. Le virus a une grande qualité, il est « humaniste » : hommes, femmes, homos, hétéros, juifs, arabes,… même si Chinois et Américains commencent à se jeter la vaisselle à la figure en s’accusant mutuellement d’être à l’origine du problème, il met tout le monde dans le même sac[14].

. Inflation – Vers un retour : Au début de la crise sanitaire, l’inflation tant espérée a reculé[15]. Mais nous ne pensons pas que cet état soit fait pour durer longtemps ni au-delà de la crise. En réalité, la perturbation induite sur les chaînes d’approvisionnement et de production va créer une situation de renchérissement de modes de productions poussés à se réorganiser (Chine ayant durablement retourné les flux de son immense machine productive vers elle-même) et de raréfaction des biens à la reprise de la demande… et ce même si les cours du pétrole restent au-dessous des USD 50/baril. Un autre argument en faveur de l’inflation est lié au point sur les banques (ci-après) : les banques sont gavées de réserves de liquidités issues des QE ; c’est ce stockage qui a empêché qu’impression monétaire ne rime avec inflation galopante[16] ; si nous voyons juste et que les banques européennes sont mises au pas d’un plan de reconstruction économico-financière du continent, ces liquidités, en sortant de leurs coffres, vont recréer de l’inflation. Ce mécanisme pourrait même suggérer un risque d’hyperinflation, mais si tout est prêt pour absorber cet argent dans de grands projets d’infrastructures modernes (ferroviaire, santé, social, défense, IA…) comme nous l’analysons, la tendance devrait être contenue.

. Système monétaire – Mise en place d’un nouvel euro : Le renversement de tendance inflationniste serait  un game-changer pour la BCE qui se retrouverait à gérer des problématiques plus profondément inscrites dans son ADN, à savoir empêcher l’inflation excessive[17]. Mais ne fondons pas trop nos anticipations sur cette possible reprise inflationniste[18] : de manière plus générale, la communauté des problématiques budgétaires et fiscales auxquelles les membres de la zone euro seront confrontés permettra de rapprocher les positions au sein du directoire de la BCE (jusqu’ici polarisé entre faucons et colombes sur les thèmes de l’austérité et de la rigueur budgétaire[19]) et d’enclencher tout un tas de solutions parmi lesquelles cet euro digital qui donnera lieu à une mise à niveau générale de la monnaie unique (décrit dans notre article de juin 2019).

. Système bancaire – Fin des banques européennes telles qu’on les a connues[20] : La menace qui pèse actuellement sur le système bancaire européen (et américain[21]) d’une faillite de Deutsche Bank[22] est considérablement aggravée par la crise sanitaire, renforçant le pouvoir de négociation de la BCE vis-à-vis d’un système bancaire aux abois : en réalité, contrairement à 2008, on peut espérer que la BCE se renforce au gré de l’affaiblissement du système bancaire européen.

Figure 1 – Le risque systémique Deutsche Bank – Source : FMI, ZeroHedge

 

Ce dernier pourrait plus facilement accepter de renoncer à sa « neutralité » pour se mettre au service de cette forme de planification économique que suggère Mme Lagarde en demandant aux banques que soit prêtée plus d’attention à la « composition » (direction des investissements) qu’au seul « montant » des stimuli fiscaux – aussi appelé « nouveau mix politique européen » [23]. Par ailleurs, le projet de « fusion européenne » qui doit permettre de créer des super-établissements bancaires européens (et non plus nationaux) qui avance déjà bien[24], devrait se retrouver renforcé par l’urgence de consolidation du système induite par la crise sanitaire.  

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