En introduction à nos tendances up&down présentées dans ce numéro, nous élaborons les orientations que nous estimons structurantes en 2018. Ce panorama combiné aux 33 tendances up&down présente une vision du paysage que nous entrevoyons pour cette année.
Dans le dernier numéro, nous avons acté de la fin de ce que nous avons appelé « la crise systémique globale » dès février 2006[1]. Douze ans plus tard en effet, notre équipe estime que toutes les étapes de transition entre « le monde d’avant » et « le monde d’après » ont été franchies. Nous atterrissons désormais dans ce fameux « monde d’après » dont l’immensité et le caractère inexploré changent radicalement la nature des défis auxquels nous sommes confrontés.
Notre étude de la crise systémique globale a essentiellement consisté, le regard rivé sur des objets familiers, à anticiper les crises liées à l’effondrement du monde tel qu’on l’avait connu depuis 1945. D’une certaine manière, les choses se compliquent désormais car il s’agit d’anticiper les risques liés à l’émergence d’un monde inconnu.
Or, pour se repérer dans ce monde, non seulement les actuels systèmes publics d’information (médias, instituts de statistiques, etc.) n’ont pas encore intégré les outils modernes d’observation (big data notamment) et ne sont pas encore redimensionnés à la taille de ce monde ouvert et gigantesque, mais la conscience de ces limites aboutit à une forme de négation de ces nouvelles réalités : peur d’effrayer les populations, vertige devant les vastes étendues des défis qui nous attendent, nos médias se « provincialisent » et créent un sentiment de retour au calme bien illusoire.
Car la note dominante de cette année peut se résumer à cette phrase : « Des acteurs immatures évoluant dans un environnement neuf en dehors de tout cadre commun », une situation inévitablement porteuse de dangers.
Préparation au monde d’après : occasions ratées
Ce « monde d’après » ne naît pas dans de bonnes conditions, l’Occident[2] en particulier ayant préféré nier l’impératif de transition plutôt que préparer les choses avec les nouveaux grands acteurs.
Par exemple, l’Occident aurait pu anticiper la nécessaire restructuration des institutions internationales sur la base de la pleine intégration des grands acteurs de la nouvelle géopolitique mondiale (Chine, Inde, Russie…). Ou encore anticiper l’impossibilité de réformer ces institutions et opter en conséquence pour une coopération avec ces acteurs afin d’inventer les prochains outils de la gouvernance mondiale (rapprochement Euro-BRICS[3], Union de l’Arctique, comme suggéré dans ce numéro, etc.…). Au lieu de cela, les appareils des États américains et européens ont préféré voir dans la grande reconfiguration géopolitique globale une attaque personnelle contre leur hégémonie, s’empêchant de la regarder de façon constructive.
Fig. 1 – Part dans le PIB mondial des États-Unis (bleu) et des BRICS (rouge), 2000-2013. Source : The Brics Post.
Le résultat est aujourd’hui un système international en lambeaux, dépouillé de toute légitimité à représenter un quelconque ordre mondial. A titre d’exemple, comment l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) peut-elle se prétendre « mondiale » quand ses principaux membres (Europe, États-Unis, Japon) s’opposent aussi fortement à accorder à la Chine le statut d’économie de marché ?[4] L’OMC ressemble davantage à un club fermé qui tend à durcir ses règles d’adhésion qu’à une enceinte internationale ouverte[5]. Les institutions internationales du XXe siècle, du point de vue d’une part désormais majoritaire du monde, ne sont rien d’autre que des institutions occidentales.
Cet échec existentiel aboutit aujourd’hui à ce que les membres eux-mêmes de ces différents « clubs occidentaux » se déchirent de plus en plus entre eux, comme la nouvelle querelle entre le Canada et les États-Unis dans le cadre de l’OMC[6], ou bien sûr comme la dislocation de l’UE le suggèrent.
L’Occident continuant à se tenir éloigné des tentatives d’organisation du monde par les puissances émergentes, et à les considérer même avec un certain dédain, aucune ébauche sérieuse de gouvernance mondiale n’est plus discernable.
En 2018 donc, aucun cadre international légitime n’est en mesure de résoudre les innombrables points conflictuels que le monde présente.
Pour ne prendre qu’un exemple, depuis 6 ans que Français et Anglais sont intervenus en Libye pour détruire le régime de Kadhafi, et malgré les conséquences directes induites par la gigantesque déstabilisation régionale qui s’est ensuivie, personne n’a encore réussi à ramener le calme dans ce pays[7]. Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir intérêt ![8] La réalité, c’est que les innombrables intérêts entourant la résolution de la crise libyenne constituent une vraie « foire »[9] au milieu de laquelle aucune force structurante ne parvient à prendre le dessus : Européens, Américains, Saoudiens, Égyptiens… tous souhaitent résoudre la crise suivant leurs idées, leurs objectifs, leurs priorités.
Cette perte de contrôle en matière de relations internationales crée les conditions d’une course au leadership mondial : puisqu’aucune instance internationale n’est plus en mesure d’imposer légitimement sa solution, les regards se tournent vers les grandes nations pour résoudre les foyers conflictuels, laissant émerger de nouveaux acteurs : Arabie saoudite, Chine, Inde, les nouveaux États-Unis de Trump, Turquie… C’est ce qui a caractérisé l’année 2017 en matière d’affaires internationales.
En 2018, nous anticipons les premières conséquences négatives de cette course au leadership.
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