Avec la crise de la Covid, le monde a basculé dans le futur. Cela se vérifie sur tous les fronts. De fait, la tâche d’observation de l’immense transformation sociétale s’est considérablement compliquée.
Dans la trentaine de pages que compte ce numéro, les thèmes principaux – la colonisation « sauvage » (privée) de l’espace et les risques immenses qu’elle induit induits, le bouleversement des modes de production alimentaire – seront abordés comme autant de composantes du monde nouveau qui se met en place en 2020.
Cependant, il ne faut pas oublier que cette transformation se fait également sous les auspices d’une transition humaine incarnée par la montée en puissance des jeunes générations. C’est d’ailleurs symboliquement cette année que les Etats-Unis annoncent que les milléniaux passent devant les baby boomers en tant que plus grosse génération de l’histoire[1].
C’est sur cette tendance, elle aussi en pleine accélération, que nous avons choisi d’ouvrir ce numéro car elle est centrale d’un point de vue systémique mais aussi parce qu’elle pourrait se passer bien plus douloureusement que ce que le mot « jeunesse » suggère habituellement comme vision optimiste.
En tant que pur produit du système qui se meurt et de ses défauts, il va falloir beaucoup de courage, d’intelligence et sans doute de chocs de réalité à cette génération montante pour qu’elle parvienne à transcender ses nombreux handicaps et s’emparer de l’espace qui s’ouvre devant elle.
Accélération du grand glissement des générations
Le caractère asymétrique d’un virus anecdotique pour les jeunes mais mortel pour les personnes âgées lance un puissant phénomène de fracture générationnelle de la société, en plus de toutes les autres lignes de division habituelles.
Baby boomers : le Covid a rendu visible une réalité qui lui préexistait : la très nombreuse génération du baby boom entre en phase d’effacement. Née entre 1946 et 1964, elle a aujourd’hui entre 56 et 74 ans. Avec une espérance de vie en Europe de 77,8 ans pour les hommes et de 83,3 pour les femmes, on comprend vite que les plus âgés de cette génération abordent une période où les risques de complication sur le plan de la santé se précisent[2]. Le Covid vient en accélérer certains paramètres, puisqu’il peut être fatal dès 60/65 ans…
Figure 1 – Espérance de vie dans l’UE27, 2002-2018 – Femmes (bleu)/Hommes (orange). Source : Eurostat
De fait, depuis 2005 l’augmentation de la mortalité liée au vieillissement de cette vaste génération est à l’œuvre de manière beaucoup moins discrète qu’auparavant[3]. Si on a beaucoup entendu parler du coût de la retraite des babyboomers pour la société, sans doute pas assez en revanche du coût et des besoins d’adaptation liés à la prise en charge croissante de leurs fins de vie[4]. Par exemple, les limites déjà atteintes en matière de capacité d’accueil des maisons de retraites et hôpitaux[5] ont, d’après nous, largement contribué au mouvement de panique déclenché par les Etats à la vue de la vague de surmortalité promise par le Covid[6].
Le Coronavirus a ainsi révélé un aspect important de l’évolution de la société : la disparition graduelle mais amorcée de la génération monolithique qui a dominé les 60 dernières années : les baby boomers.
Génération X : un deuxième phénomène s’ajoute à celui-ci, à savoir la tendance à la démission de la génération d’après, cette fameuse génération X (les « quinqua ») dont nous parlons souvent comme le chaînon manquant. Cette génération numériquement écrasée par la précédente, profite de la crise de la Covid pour jeter l’éponge et, d’une certaine manière, prendre sa retraite anticipée.
Certes, les licenciements qu’entraîne la crise de la Covid touchent tous les employés quel que soit leur âge, mais les constats de perte de sens de l’emploi affectent surtout les milléniaux et cette génération X, si l’on en croit ce sondage américain[7]. La différence entre les deux générations, c’est que les plus jeunes quittent leur emploi pour monter leur entreprise ou changer de secteur ; tandis que les quinquagénaires partent au vert[8].
Ce phénomène, en germe avant la crise de la Covid, n’a fait qu’être renforcé par celle-ci. Les problématiques d’épuisement professionnel (burn-out), affectant une génération X[9] vieillissante à laquelle seul un rôle de second plan a été donné dans une société qu’elle n’a pas réussi à faire évoluer suivant ses propres caractéristiques et aspirations, aboutissent aujourd’hui à cette vague de départs pour une nouvelle vie en retrait[10].
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