Bitcoin : institutionnalisation à double tranchant
Cela a déjà été évoqué dans les recommandations, la reconnaissance par les États-Unis de la légitimité de Bitcoin via les ETFs[1] sera à double-tranchant : elle va consolider la valeur et le statut de Bitcoin à court terme[2] ; à long terme en revanche cela pourrait se traduire par une prise de contrôle des États-Unis sur cette crypto. En termes de recommandation nous encourageons nos lecteurs qui en possèdent à la garder et ceux qui n’en possèdent pas à investir. Il est toujours utile d’en détenir directement mais il sera aussi utile de se placer sur les ETF dès que possible. Une prise de contrôle par les États-Unis irait à l’encontre de la raison d’être de Bitcoin, mais pour avoir un intérêt à la faire, l’Oncle Sam a d’abord besoin d’un Bitcoin fort. Nous parions donc sur le fait que sa valeur va augmenter sur l’année 2024, non sans fluctuations, bien évidemment.
Figure 1 : Valeur journalière du Bitcoin Bitcoin (BTC) en dollars US sur la période du 28 septembre 2020 au 10 janvier 2024 – Source : Statista
Conséquences sur le monde des cryptos en général
Cette actualité Bitcoin entraînera des répercussions sur le monde des cryptos. Si nous avons conscience que les États-Unis peuvent prendre le contrôle de Bitcoin nous ne sommes pas les seuls. Les puristes de la décentralisation prendront donc probablement des mesures, avec la possibilité d’une migration importante vers d’autres cryptos. D’un autre côté, cette décision va rendre beaucoup plus sérieuse et intéressante la sphère crypto dans sa globalité à un nouveau public d’investisseurs. Nous anticipons donc que malgré les fluctuations dues à de potentiels mouvements internes, cette décision sera positive pour l’ensemble de l’écosystème crypto. La seconde la plus solide est l’Ether qui a déjà réagi très positivement à l’annonce du lancement des ETF Bitcoin.
Révélation de stratégies étatiques, suspension en Inde
La décision américaine sur le Bitcoin va également faire réagir d’autres États, que ce soit pour lui emboîter le pas ou pour la contrer/concurrencer. Un cas révélateur est la disparition de l’application Binance de la version indienne de l’Apple Store[3], suite notamment aux mises en demeure à une dizaine d’exchanges crypto, dont Binance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent[4], et qui a eu lieu elle aussi le 10 janvier. Les plateformes indiennes de même type en ont profité pour mettre en avant leur projet (comme KoinBX ou CoinDCX). On a là une tendance qui mérite d’être suivie en 2024, la reprise en main par les États d’outils crypto. Car il ne faut pas oublier que malgré la décentralisation de ce type de monnaies, dans les faits les utilisateurs font très souvent appel à un intermédiaire. Cette tendance doit être prise en compte par tous les investisseurs crypto, quel Etat va offrir les meilleures conditions pour des investissements dans des infrastructures d’énergie/minages ? Quelle plateforme, dans quel pays est mue par la meilleure dynamique ? Si les rêves de décentralisation sont déçus petit à petit, cela passera aussi par une forme nouvelle et indirecte de « nationalisation » de ces projets, à prendre en compte dans vos stratégies d’investissements.
Inflation et taux d’intérêt : privilégier les indicateurs aux paroles
Le mois dernier nous évoquions la pause annoncée dans la hausse des taux d’intérêts. Celle-ci semble en effet se préciser, néanmoins les espoirs de baisse des taux nous paraissent exagérés. La raison est que malgré une baisse de l’inflation durant 2023 en zone Euro, les prix commencent déjà à repartir à la hausse[5] et devraient continuer d’augmenter début 2024, tendance similaire aux États-Unis[6]. Un argument en faveur d’un maintien des taux d’intérêts « élevés » (ne pas oublier que nous partons de tellement bas que nous ne sommes pas encore montés très haut…). La BCE n’est déjà pas entendue sur des décisions européennes comme l’autorisation d’aides publiques sur les prix de l’énergie (ce qui d’après elle alimente l’inflation), nous ne parions pas pour l’instant sur le fait qu’elle baisse les taux d’intérêts pour satisfaire marchés et gouvernements. Les investissements sur les obligations devraient donc rester rémunérateurs dans le futur immédiat et proche. Ne vous laissez donc pas berner par des annonces et effets d’annonce mais concentrez-vous sur les indicateurs et les signaux concrets qui, pour l’instant, ne pointent pas vers une baisse significative des taux.
L’Euro a 25 ans : l’âge de la digitalisation ?
Après 25 ans d’existence, le bilan de l’euro est clair, bien qu’il soit mitigé : une réussite nette du fait de son existence et de sa stabilité là où très peu d’économistes y croyaient lors de son lancement ; mais un bénéfice relatif, voire difficile à définir tant il n’a pas réussi à impulser une unification des économies, fiscalités, politiques sociales des États-membres. Mais le plus intéressant reste de se projeter dans son avenir, puisqu’il est à présent communément admis que cette monnaie a un avenir. Cet avenir c’est l’euro digital à n’en point douter. La BCE a réaffirmé ses intentions et les moyens mis en œuvre pour le mettre en place, si la monnaie ne voit pas le jour en 2024, 2025 ou 2026 pourraient marquer son lancement. Ce calendrier, finalement, en fait une MDBC bien placée qu’il faut inscrire dans la tendance globale des États à redéfinir leur stratégie de monnaie numérique décrite plus haut. Tous les observateurs qui ont du mal à entrevoir le bien-fondé du projet se concentrent trop sur ses aspects techniques (dont les bénéfices sont discutables, certes) et prêtent trop peu d’attention à sa dimension politique.
En réalité il s’agit d’un gain de contrôle et d’influence au profit de la BCE et des institutions européennes. Ce renforcement de leur pouvoir sur l’économie et le secteur financier représentera un moyen beaucoup plus efficace de réformer le système bancaire en Europe et de mettre en cohérence les politiques des États-membres. Très concrètement, ce que nous anticipons pour 2024 est que l’enjeu central restera l’inflation pour garantir une stabilité de la monnaie et préparer le lancement de l’euro digital. A plus long terme nous anticipons tout d’abord que l’Euro réussira à se maintenir dans la course du système monétaire global et même, si les réformes parallèles s’avèrent efficaces, à y progresser.
Le point le plus critique dans ce développement se situe sur le plan social et les tensions qui se développeront sur le continent tout au long de l’année. Mais l’Euro digital pourrait s’avérer être un outil utile dans la réponse politique autoritaire et institutionnelle pour laquelle la majorité des États-membres devraient opter[7]. Concernant le système bancaire, une distance ne manquera pas de se créer entre les banques, celles qui montent à 100% à bord du train digital[8], celles plus réservées (qui plaident par exemple pour des limitations de dépôt en euro digital – cf BNP[9]), et les frileuses, comme certaines banques commerciales[10].
PetroDollar VS PetroYuan : relocalisation = dédollarisation ?
Figure 2 : Réserves mondiales monétaires, 3T2023. Source : FMI
La tendance d’une dédollarisation se poursuit et se précisera en 2024, une forme de relocalisation et de concentration sur le rôle national plutôt qu’international du billet vert va s’accélérer. Les réserves de change en dollar sont à un niveau le plus bas historique, tout en restant largement devant les autres devises. Deux tendances vont tout de même accélérer la bascule cette année : les efforts de relocalisation industrielle américains portent leurs fruits, l’inflation même si elle repart à la hausse ces dernières semaines, reste sous contrôle, le dollar reste donc parfaitement solide dans son rôle pour l’économie américaine. Nous l’avons déjà précisé, notre équipe est sceptique quant à une baisse de taux significatif, cette stabilité sera donc selon nous maintenu tout au long de 2024.
Sur le plan international en revanche, 2024 est aussi la première année des BRICS+. Comme toujours avec les BRICS, le terrain est largement préparé à l’avance et lorsque ce type d’événements survient ils ont pour effet de mettre en œuvre des accords déjà passés. Sur le plan monétaire des échanges significatifs ont été mis en place ces dernières semaines, mois, années[11]. Cette année pourrait être celle d’une progression majeure du petro-yuan, les signes à surveiller sont l’adossement des monnaies saoudiennes et émiratis sur le dollar. Ceci rejoindrait également la préparation stratégique américaine à basculer vers une monnaie globale qui ne soit pas le dollar, le Bitcoin.
Livre UK : une illusion de contrôle ?
Dans ce système global, la livre britannique aura de plus en plus de mal à trouver un chemin indépendant du Dollar ou de l’Euro. Comme nous l’avons démontré dans les tendances, le retour du Royaume-Uni dans le sillage de l’UE devrait se constater sur le plan monétaire international. Si le pays résiste correctement à l’inflation[12], il annonce une baisse de taux qui nous laisse, comme ses partenaires occidentaux, sceptiques. Année britannique électorale, il va être difficile de prendre des mesures de rupture significative, surtout si ses partenaires européens et américains s’en préservent. L’un des points forts de la livre était la prééminence du Royaume-Uni dans le secteur financier, or celui-ci a clairement pâti du Brexit[13]. Si la Grande Bretagne a repris le contrôle sur certains aspects de son destin, la monnaie n’est certainement pas le meilleur exemple. Nous recommandons donc prudence sur les investissements liés à la livre.
Or, valeur refuge indétrônable
Enfin, dans une année partagée entre attentisme et tectonique des plaques, l’or ne décevra pas. Après une année record en 2023, la valeur refuge par excellence ne pourra faillir à sa tâche en 2024. Si le Bitcoin joue lui-même un rôle d’or numérique, cela ne décrédibilise en rien l’or matériel comme papier. Révélateur d’une tendance beaucoup plus large, presque philosophique, les progrès technologiques majeurs et très avancés ont leur pendant de remise en question et de recul (voir nos tendances). Il en va de même sur les secteurs financiers, les mêmes qui sont prêts à avancer sur les cryptomonnaies, comme les MDBC ont toujours besoin d’un filet de sécurité. Nous anticipons donc une hausse générale de la valeur or sur 2024 qui se prête toujours aux investissements long terme et aux contreparties de prise de risque plus importantes.
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[1] Mercredi 10 janvier la SEC américaine (Securities and Exchange Commission) validait pour la première fois 11 ETF Bitcoin de grands gestionnaires d’actifs. Source : Reuters, 12/01/2024
[2] La cryptomonnaie s’est envolée de plus de 150% sur l’année 2023. Source : Capital, 02/01/2024
[3] Source : Quartz, 10/01/2024
[4] Sources : Cointelegraph, 10/01/2024 et ministère des Finances indien, 28/12/2023
[5] Source : Eurostat, 05/01/2024
[6] Source : White House, 11/01/2024
[7] Et qui inquiètent les organisations citoyennes. Source : Netzpolitik, 26/06/2023
[8] À l’exemple des banques espagnoles. Source : Ledger Insights, 10/10/2023
[9] Source : Les Echos , 04/10/2023
[10] Sources : FAZ, 03/08/2023 ou Kleine Zeitung, 11/10/2023
[11] Le dernier en date étant un currency swap entre Chine et Arabie Saoudite. Bloomberg, 20/11/2023
[12] Source : The Guardian, 20/12/2023
[13] Source : The Guardian, 08/11/2023
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