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Le bulletin mensuel du Laboratoire européen d'Anticipation Politique (LEAP) - 15 Déc 2024

Entreprise 2035 : Poser aujourd’hui la figure du Super-Collaborateur

« Dépensez moins en humains » pitcherait désormais Microsoft d’après Aaron Holmes[1]. Si l’IA est certainement la nouvelle étape du long processus d’optimisation de la ressource humaine dans l’appareil de production – permettant de produire plus à RH constant, cela signifie surtout que l’humain va devenir de plus en plus précieux. Nous anticipons même qu’il va cesser d’être interchangeable ce qui constituera un changement de donne majeur dans la relation humain-entreprise. Les entreprises qui prévoient d’exister encore en 2035 ont donc tout intérêt à prendre grand soin de leurs collaborateurs et à aménager les conditions de leur évolution en super-collaborateurs.

Dans le cadre de travaux menés entre étudiants, enseignants et entreprises, le think tank LEAP analyse les transformations de l’entreprise provoquées par l’utilisation des IA génératives avec un horizon placé à 2035.

Ces outils ayant la capacité de mettre à disposition de chacun un assistant personnel ultra-performant, ces travaux nous ont amenés à poser la figure du « super-collaborateur », cet humain indispensable, ultra-informé, connecté, outillé, valorisé et rétribué de l’entreprise de demain.

Ce petit mémo destiné à mieux visualiser les caractéristiques de ce super-collaborateur dans l’entreprise en 2035, est conçu pour aider chacun à optimiser ses stratégies d’adaptation et de formation et l’entreprise à mettre en place l’éco-système et les mécanismes qui lui permettront d’optimiser son capital humain.

Devenir le super- entraîneur de sa super-IA

Le super-collaborateur sera avant tout celui qui aura su se construire un super-assistant virtuel.

De fait dans le monde professionnel hybride qui se dessine déjà, l’infrastructure IA ne sera pas uniquement celle fournie par l’entreprise mais aussi tous ces deuxièmes cerveaux personnels que certains mieux que d’autres sauront s’adjoindre en fonction de leurs besoins spécifiques. Chaque IAssistant sera aussi unique que son concepteur, à la fois reflet et complément de ce dernier, les deux se renforçant constamment l’un l’autre. L’intelligence humaine, dans la sphère économique en tous cas, sera donc aussi une « bonne intelligence de l’Intelligence Artificielle ».

Se sensibiliser par la participation à des conférences, à des débats, se former par de vraies formations, par les échanges avec ses pairs, par la pratique surtout… est donc une priorité qui va devoir s’insérer parmi toutes les autres priorités qui composent la journée du collaborateur. Il aura donc besoin de l’aide de son entreprise pour y arriver. Et l’école doit/peut être le lieu où s’acquièrent ces nouvelles habitudes.

Fonder notre acculturation dans ce que nous avons de plus humain

En amont de cette capacité d’« entraîneur d’IA », il y a certes des compétences techniques (comment utiliser ?) mais il y surtout tout un attirail de connaissances, capacité de compréhension, soft skills,… (pour quoi faire ?) qui relèvent plus des sciences humaines :

  • Courage de s’informer sur les savoir-faire des différentes IA accessibles à tous
  • Capacité analytique critique pour comprendre son travail et repérer ce qui peut être fait par l’IA
  • Esprit de découverte pour se mettre à l’utiliser
  • Auto-critique pour repérer ce qu’on pourrait faire mieux dans ses tâches quotidiennes
  • Capacité de questionnement (esprit critique) des propositions de l’IA
  • Créativité pour découvrir des manières de faire produire à l’IA de la valeur
  • Imagination pour se créer des outils d’information ad’hoc – avec l’aide de l’IA – au service d’une meilleure connaissance du monde permettant de contextualiser
  • Facilité à travailler avec les autres, fondée sur une bonne prise en compte de ses limites individuelles et aux avantages de l’intelligence collective
  • Sens des langues pour se relier à des humains différents (toujours pour mieux comprendre et pouvoir questionner)
  • Capacité d’élaboration d’une vraie vision (monde, entreprise, soi)
  • Sens de la décision…
  • Etc…

Tout cela afin d’avoir une chance de rester maître de son IAssistant… et grandir avec.

On commence alors à comprendre combien est humain ce super-collaborateur super-assisté. De ce fait, la réflexion à mener et les qualités à cultiver portent sur une meilleure compréhension de ce qui fait l’humain et que la machine de production a souvent enfoui dans une forme de machinisation de l’employé qui peut désormais commencer à s’affranchir de ses chaînes.

Se transformer en hub d’un internet humain

Alors que les technologies ont plutôt eu tendance à isoler, le Super-Collaborateur de demain sera un individu ultra-connecté et « super-collaborant » : avec l’IA, avec ses pairs, avec sa hiérarchie (haute et basse), avec l’ensemble de son éco-système professionnel (clients, prestataires,…). Dans un monde multi-nodal, chaque composante de l’éco-système humain d’une entreprise doit devenir un hub de l’ensemble de l’organisation. D’une certaine manière, les collectifs humains performants de demain seront organisés sur les mêmes logiques fractales qu’internet dont chaque point est à la fois unique et intégrant le tout. Ainsi le Super-Collaborateur de demain sera-t-il « collectivement intelligent », conscient qu’avec les outils et méthodes d’aujourd’hui, on est plus intelligent ensemble que seul et que les plus collaborants seront donc les plus intelligents. De fait, connecter les cerveaux humains entre eux (avec l’aide de l’IA d’ailleurs) est le probablement le seul moyen pour rester compétitif face aux ordinateurs connectés entre eux qui fondent l’IA. En résumé, maintenant que les humains ont servi de modèle pour créer les machines, il est temps que les humains regardent leur création pour apprendre à mieux fonctionner tout en restant humains.

Cet impératif de collaboration n’exclut pas celui de compétition car le super-collaborateur doit aussi vouloir être meilleur que les autres pour tirer le groupe vers le haut. Il sera donc super-« coopétitif ».

Se préparer à intégrer des « armées de généraux »

L’humain indispensable de l’entreprise intelligente de demain va probablement se retrouver tiré vers une sphère haute de l’entreprise, regroupant un vaste écosystème de super-collaborateurs très complets (généralisto-experts), participant – avec l’aide de l’IA – à une gouvernance rénovée de l’entreprise. Cette sorte de super-COMEX sera composé non plus de quelques unités de dirigeants mais dans le cas des grandes entreprises de centaines voire de milliers de collaborateurs intégrés à des plateformes IA d’information-débat-propositions vouées à instruire un système décisionnel intégrant et mettant en cohérence tous les périmètres de décision.

Dans le cadre de l’idée que l’entreprise acquiert actuellement des caractéristiques d’Etat (voir notre article à ce sujet dans le numéro d’avril[2]), ces super-Comex rempliront la fonction de parlements corporate innovants – dont les Etat feront bien de s’inspirer pour reposer les bases de démocraties fonctionnelles.

Ceci ne voudra pas dire que parmi ces super-collaborateurs, il n’y aura plus de managers de terrain, bien au contraire : le middle-management ne disparaît pas, mais comme l’organisation s’aplatit, il siège au même niveau que le top-management.

Le super-collaborateur de demain doit donc concentrer des qualités de leader : il a une vision 360°, il participe organiquement aux grandes décisions mais surtout au système micro-décisionnel de l’entreprise, il est donc stratège, inspirant,… et responsable de ses actes (en cas de litige, c’est lui qui ira devant le juge, pas son IA).

In fine, par ses super-pouvoirs, l’humain se met en capacité d’orienter la puissante infrastructure technologique de production et d’administration de l’entreprise. Un peu comme les gouvernements (politique) orientent les Etats (administration publique).

Réapprendre la loyauté

Inévitablement, le super-collaborateur de demain sera précieux et sa carte de compétences et de savoirs, à l’instar de celle de l’IA, sera de plus en plus à l’image de chaque entreprise. C’est ainsi que, en rupture avec les 30 dernières années, on est en droit d’imaginer que la loyauté va redevenir une qualité décisive pour que l’entreprise accorde sa confiance à un collaborateur et l’aide à se transformer en super-collaborateur. Si c’est juste, les entreprises vont devoir mettre en place des stratégies puissantes pour se rendre attractives et retenir les talents qu’elles auront attirés afin de contrer la tendance actuelle à la forte volatilité des jeunes professionnels. Elles en ont le pouvoir et peuvent se présenter comme des espaces de formation permanente, de compréhension du monde, de leviers d’action… autant de besoins humains que le citoyen seul n’est plus vraiment en capacité de développer et que les organisations de la société civile n’ont pas les moyens de construire. Le fort ancrage-réalité de l’entreprise est un atout dans la quête de lucidité et d’influence des individus que l’entreprise dans son souci de fidéliser ses collaborateurs précieux (horizon 2035) peut valoriser… dans son propre intérêt de surcroît : en effet, compte-tenu des pressions négatives à la croissance d’un vaste tissu d’entreprises qui vont devoir apprendre à survivre en période de disette, c’est la créativité humaine boostée par l’IA et l’intelligence collective de chaque entreprise qui décidera de sa capacité à changer de paradigme. Une bonne raison de reposer le contrat social liant l’entreprise à ses collaborateurs sur la notion féodale de loyauté mutuelle.

Apprendre tout le temps

Malgré tous ces super-pouvoirs, le super-collaborateur n’a pas besoin d’être parfait. L’erreur est humaine ! Et ce sont nos erreurs qui nous font progresser. En revanche, apprendre à repérer, accepter et capitaliser sur ces erreurs sera un atout pour le monde hybride qui se met en place.

Pour devenir ce super-collaborateur, et dans le cadre de l’accompagnement au changement qui est ressorti de nos travaux comme une vraie demande des collaborateurs aujourd’hui, des espaces d’échanges et de retour d’expérience sont indispensables, permettant de « s’acculturer » à l’avenir et de faire émerger une meilleure vision de l’entreprise et des métiers afin que chacun s’adapte naturellement. La formation continue et une culture de curiosité sont en passe de devenir indispensables à la transformation réussie des entreprises…

Comme quoi, paradoxalement, l’IA va faire revenir l’entreprise à l’humain.

[1] Source : The Information, 09/12/2024

[2] Entreprise post-ChatGPT : Acceleration de l’émergence de l’entreprise-Etat. Source : GEAB, 15/04/2024

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